lundi 23 août 2010

Sucre-Potosi


Vendredi 6 août : Sucre, capitale de Bolivie, serait parait-il la ville la plus belle du pays : patrimoine mondial de l'Unesco, perle blanche, coeur de la nation, et patati et patata... Avec un tel curriculum, il est donc bien légitime de vouloir aller y faire un tour, surtout que ce n'est pas trés loin d'Uyuni.

Mais c'est sans compter sur les boliviens, et leurs mœurs révolutionnaires dont ils sont si fiers. Cette fois ci, c'est à Potosi que ca chauffe. Le problème? La gestion de deux hameaux minuscules qui sont passés sous le contrôle d'une ville voisine. Les Potosinos sont en émois, et pour montrer leur mécontentement, quoi de mieux qu'un blocus de la ville et une grève générale, quitte à pénaliser principalement des gens qui n'en ont rien à faire de ce futile problème de territoire?
Cela fait déjà deux semaines que la situation est dans cet état : dans Potosi, ceux qui essaient d'ouvrir leur commerce se font tabasser par les manifestants, et on fait état de milliers de personnes prises au piège sur les routes, bloquées par des camions, bien évidemment sans nourriture ni eau (ils doivent payer 5 bolivianos un simple café, ce qui pour nous européens, rapporté à nos salaires moyens, irait chercher dans les 5 euros... c'est assez ironique, ce business ultra lucratif géré par ceux-là même qui interdisent tout commerce).

Bon moi dans cette histoire je ne suis ni une victime, ni un bourreau, sauf que pas de bol : la route pour aller à Sucre, ben elle passe par Potosi...
Pour ceux qui veulent vraiment visiter la capitale, il est possible de faire un énorme détour, et se coltiner plusieurs centaines de kilomètres supplémentaire en passant par Cochabamba. Si la circulation se faisait sur une autoroute ça ne serait pas vraiment un problème, mais n'oubliez pas que nous somme au far-west. Et malgré ça, j'ai vraiment envie d'aller visiter Sucre...




Après avoir laissé El Sylvio aux bons soins de la petite réceptionniste de mon auberge, je m'achète donc un billet pour Oruro, première étape du périple. Ce n'est qu'à 300 kilomètres d'Uyuni, et on passe par le salar, immense étendue de sel plane, qui est pour ainsi dire la meilleure route du pays, et sur laquelle les véhicules peuvent atteindre des vitesses folles, allant jusqu'à frôler la barre des mythiques 100 km/h!
MAIS (il y a toujours un mais dans ce pays)... soit il y a un gouffre spatio temporel en Bolivie, soit le chauffeur était mort-bourré et nous a fait faire un détour par le Chili. Car en avançant relativement vite, et sans jamais nous arrêter, nous avons parcouru ces 300 kilomètres en... 11 heures! 28 kilomètres à l'heure, là faut m'expliquer, car je vais plus vite à vélo.

Arrivés à Oruro, on reprend aussitôt un billet pour Cochabamba, seconde étape de cette traversée épique. C'est à 200km, sur une route carrément sinueuse, mais chose étrange: on ne mettra "que" 5 heures et des bananes pour arriver (Les chauffeurs doivent se sentir plus en confiance lorsqu'il y a des lacets et des précipices, ca leur permet d'accélérer). Cette ville immense s'étend le long d'une vallée fertile, à 2500m d'altitude. On y arrive au petit matin, et je constate avec étonnement qu'il y fait super chaud, ce qui me donne bien envie d'y rester, d'autant plus que le guide parle des marchés locaux qui seraient les plus importants de toute la Bolivie. Ok décision est prise : je ne repartirai que demain pour Sucre.

Je dois être un peu citadin dans l'âme, car j'ai toujours eu du mal à quitter une localité un peu moderne , confortable, et dans le cas présent extrêmement bon marché. Il faut savoir que ca faisait plus de 20 jours que je n'avais plus vu de villes dignes de ce nom, offrant un minimum de confort, et sur le coup Cochabamba avait pour moi des airs de paradis. Bon en réalité c'est une ville super moche, mais je m'y sentais super bien. Il y avait par exemple ce magnifique cinéma hyper moderne où passaient plétore de films, avec des salles gigantesques dans lesquelles j'étais parfois absolument tout seul. Je me suis donc offert quelques séances, rallongeant ainsi ma longue et précieuse liste de nanards visualisés.
Le marché aussi valait le coup d'oeil. J'y suis resté deux jours entiers, le plus souvent complètement perdu au milieu d'un labyrinthe de stands qui vendent vraiment de tout et nimporte quoi : aliments, vêtements, animaux, électronique (ahah, la "gamestation"), matériel militaire, et autres gadgets complètement inutiles. Une ville dans la ville.
Au total je serais resté huit jours à Cochabamba, à feignasser comme une grosse dinde, et perdre autant de muscle que de volonté à poursuivre le voyage.

Heureusement que, tout au fond de ma poche, l'intrépide Totoro commençait à se lasser de cette vie monotone, et me fit tout un fromage pour que l'on passe à la prochaine étape. Mon fidèle compagnon, assoiffé d'aventures et de découvertes, était parfaitement au courant qu'un peu plus loin sur la route se trouvait le petit village de... Totora. Un lieu probablement créé en son honneur il va s'en dire, et je comprends tout à fait l'impatience qu'il devait éprouver en ce moment.
Mais avant Totora, il y a quand même un site qui apparemment valait lui aussi le coup d’œil : les ruines incas d'incallajta.




Samedi 14 août : vers les ruines d'Incallajta! Tadaaaa...
Situées à 10km d'un pueblo complètement perdu, à 140km de Cochabamba, il faut monter une véritable expédition pour y arriver. Pour commencer, aucun bus de dessert Collpa, le pueblo sus-nommé. Il n'y a que les taxis qui y vont...parfois. Je demande le prix par personne : 120 bolivianos, que je refuse de payer : c'est carrément trop cher.
"Ah mais si vous êtes six, ca ne fait que 20 bolivianos par personne, me précise (tardivement) le chauffeur." Ok dans ces conditions je tope, plus qu'à attendre qu'un groupe se forme, ce qui ne prendra que quelques minutes. Et encore le recrutement fût plus qu'efficace, car au final nous voilà 12 dans la voiture de huit places! Curieusement le prix ne descendra pas à 10bs par personne...

Bien calé entre deux grosses cholitas bien confortables, me voila parti pour trois heures de trajet. Le paysage est beau, nous longeons des vallées et des montagnes curieusement arrondies, et couvertes d'une végétation rase.
A la fin, au milieu de nulle-part, le taxi s'arrête et m'annonce : "Incallajta c'est par là", en désignant une petite route pavée qui serpente vers une vallée voisine. Il m'abandonne donc au niveau de cette bifurcation déserte, sur laquelle ma carte annonçait l'existence d'un petit village qui, de toute évidence, n'existe pas. Après m'être fait assurer que nous nous trouvions au bon endroit, je laisse le taxi repartir et commence à marcher. Il est six heures du soir, le soleil est sur le point de se coucher, je n'ai qu'un litre d'eau sur moi, et dix kilomètres à faire avant d'arriver sur les ruines où je compte camper... super!

Sur la gauche, un ruissellement me rassure : il y a un cours d'eau qui longe la vallée, à utiliser en cas d’extrême nécessité. Un peu plus tard, quelques fermes sont visibles de part et d'autre de la route. Les habitants s'empressent de rentrer chez eux avant la nuit, en portant d'énormes sacs de pommes de terre. Les femmes travaillent tout autant, mais s'arrêtent pour se marrer lorsque j'arrive à leur niveau - pour se moquer de moi, à n'en pas douter!
La nuit tombe, mais une demi lune et son cortège d'étoiles éclairent suffisamment le chemin pour qu'il soit possible d'avancer. Le passage à gué d'une première rivière se révélera un peu tendu dans la pénombre, et un peu plus tard un second beaucoup plus sombre et plus large m'empêchera carrément de continuer. C'est pas bien grave, étant presque arrivé aux ruines je peux poser la tente.

Le lendemain matin...
Une petite voix me tire de mon sommeil. Dehors, un enfant appelle.
-Il y a quelqu'un?
-Hmfrfphgrrrrr!!?
-Bonjour monsieur, si vous voulez visiter les ruines, je suis guide et je peux vous accompagner.
Je sors péniblement la tête de la tente. Un jeune garcon d'une dizaine d'années se tient devant moi, un peu mal à l'aise.
-Mouargphgrrrr...
-Ok merci m'sieur, à tout à l'heure.
-Bouga bouga.

Un peu plus tard, après avoir retrouvé un semblant d'humanité, je retrouve le marmot à l'entrée du site, et accepte officiellement de le prendre comme guide. J'ai oublié son nom (qu'en réalité je n'ai pas réussi à garder en tête plus de 3 minutes, préférant le surnommer Zorino), mais il était bien sympa, et m'a fait faire une visite sommes toutes assez réussie, malgré mes préjugés. Son attitude était assez amusante parfois, lorsqu'il imitait les guides officiels qui se mettent sur un endroit élevé afin d'être vu et entendu par un vaste groupe. J'avais beau être le seul visiteur sur le site, ça ne l'empêchait pas de grimper sur un rocher et d'emprunter un air et un ton important avant de commencer chacun de ses discours!

Les ruines en elles mêmes sont intéressantes, et possèdent suffisamment de vestiges pour que nous puissions nous imaginer à quoi devait ressembler cette antique forteresse inca dans laquelle vivaient prés de 5000 habitants. Garnisons, temples, rocher sacrificiel, magasins et entrepôts, maisons... Tout y est, bien qu'en piteux état.

Deux heures plus tard, aprés avoir rémunéré mon petit guide, je retourne vers la croisée des chemins, où je compte intercepter un taxi en direction de Totora. Une fois sur place, j'attend... personne. Sauf un type en vélo, qui me dit que les taxis ne partent pas le dimanche. Arg!
Du coup deux solutions sont envisageables : rester là jusqu'à demain, ou bien essayer de rejoindre Pocona, un village situé un peu plus au sud, où, peut être, je pourrai trouver un magasin, voir un hospedaje. La perspective de pouvoir acheter quelque chose à boire me pousse à choisir la seconde solution (je n'ai presque plus d'eau: après avoir vu des chèvres patauger dans la rivière de la veille, j'ai préféré ne pas y remplir ma gourde).
Sur la route, je croise de nombreuses fermes, et plein de gens. Régulièrement je leur pose la même question : est ce que le village est loin? Ce à quoi chacun répond un peu au pif: 10km, 5km, 2 heures, une demi heure, 7km... alors qu'ils doivent quand même s'y rendre assez régulièrement!
Une dizaine de kilomètres plus tard... j'arrive enfin sur la place du village. Aprés m'être renseigné (pour ce que ca vaut), il n'y a ni restau ni hôtel à Pocona, mais je peux essayer de sonner au presbytère, el padre pouvant peut être me loger pour la nuit.
C'est comme ca que je me retrouverai un peu plus tard dans une petite chambre sobre mais propre, dans un orphelinat géré par le curé.
Par une drôle de coïncidence, un enfant m'aura réveillé ce matin, et je m'endormirai ce soir en entendant la voix de dizaines d'autres, chantant en cœur dans une salle proche.
Sales gosses qui veulent pas me laisser dormir!




Le lendemain, les taxis ont repris leur va-et-vient, mais aucun ne part en direction de Totora. Il faut descendre au niveau d'un croisement et y attendre qu'un autre véhicule aille dans la bonne direction. Quelques minutes plus tard, un taxi se pointe et s'arrête. A l'intérieur de la voiture cinq places se trouvent déjà sept passagers, mais le conducteur me fait tout de même monter, dans le coffre, au milieu des sacs de pommes de terre. Jusque là rien d'étonnant : je suis sur la Piste de Xapatan!
Cependant, quelques kilomètres plus loin, j'apercois devant nous deux personnes qui font du stop. Dommage pour vous les gars, mais là on est pleins à craquer, me dis-je naïvement. Le chauffeur lui ne l'entend pas de cette oreille, et s’arrête pour faire monter les deux nouveaux dans le coffre avec moi et les patates. Pris en étau entre la vitre arrière et un vieux papi, je prends la chose avec philosophie : après tout pourquoi acheter un bus, lorsqu'avec un peu de bonne volonté on arrive à mettre autant de passagers dans une voiture? Je pense que les boliviens devraient pousser le concept à l’extrême et s'acheter des side-cars pour conduire les passagers.

Heureusement Totora n'est pas très loin, à une cinquantaine de kilomètres tout au plus, et nous finissons par y arriver en un seul morceau (en fait on était tellement collés les uns aux autres qu'on a fini par tous fusionner..).
Je resterai deux jours sur place, à admirer ce joli petit village colonial où aucun touriste ne semble vouloir pointer le bout de son nez. Au programme : les magnifiques maisons colorées, les jolies ruelles poussiéreuses, et une fête municipale endiablée pendant laquelle les villageois exécutent une danse en costume traditionnel indien. Et ben y a pas photo : autant elles me semblent ridicules en cholitas, autant les indiennes en costume traditionnel inca sont tout à fait jolies!




Mardi 17 août : On poursuit le voyage, cette fois ci pour arriver enfin à Sucre. Rien à signaler concernant le trajet, nous arrivons à destination le soir.
Sucre est effectivement une ville magnifique. De style coloniale, les façades des maisons sont toutes d'un blanc immaculé (ou presque), avec de beaux balcons de bois d'inspiration hispannique.
Il y a quelques musées intéressants, notamment la maison de l'indépendance où le libertador Bolivar et son général Sucre déclarèrent l’indépendance de la nation. Chouette visite, mais on fait quand même assez vite le tour des choses à voir.
Je resterai un peu plus de quatre jours à me balader, avant de filer vers Potosi, dont le siège a été levé la veille, aprés quatre semaines d'âpres négociations.




Samedi 21 août : Pour aller à Potosi, à trois heures de route d'ici, pas question de remonter dans un de leurs maudits taxis! Je file vite fait à la gare des bus et achète une place bien à moi, qui ne soit pas dans le coffre ou la soute à bagages.
Quelques heures plus tard, je m'installe à la place qui doit être la mienne (le numéro de siège attribué n'etant pas bien lisible, je suis pas trop sûr). J'ai deux sièges pour moi, certains n'ont pas la même chance, en particulier une femme à ma droite qui n'a que deux places pour elle, ses deux fillettes et un énorme sac. La pauvre.
Au bout d'un quart d'heure de trajet, le bus s'arrête et prend de nouveaux passagers. Deux d'entre eux me font remarquer que je suis assis à leur place, je vais donc voir la fille qui m'a vendu le billet pour lui demander où je me trouve exactement.
"vous êtes juste à coté de la dame qui a ses deux fille, là.
-A coté? Où ça à coté? La dame et ses enfants sont déjà assises sur les deux places!
-Non, la dame n'a qu'un siège à elle, le vôtre c'est celui coté couloir."
Je n'en reviens pas : on est quatre plus un sac monstrueux (elle a caché son mari à l’intérieur ou quoi?!) sur tout juste deux places minuscules! Moi qui pensais faire un voyage pépère, je me retrouve à moitié assis dans le vide, avec une des deux fillettes qui vient régulièrement piquer un roupillon sur mes genoux, lorsqu'elle n'est pas en train de jouer sous mes jambes.
Aaahhhh mais vivement que je retrouve mon Sylvio hein? Le bus bolivien ca va un temps, c'est rigolo au début, mais faut pas trop en abuser!

Nous arrivons quand même à Potosi, le soir, et c'est avec un grand plaisir que je redéploie autour de moi ma bulle d'espace intime, qu'à l'occasion j'ai rebaptisée "Cassez vous loin de moi ou j'vous éclate la tronche".
Située à 4070 mètres d'altitude (ce qui en fait la plus haute ville de plus de 100000 habitants au monde), Potosi est une ville minière qui fût de première importance à l'époque coloniale. Elle est construite sur les flancs du majestueux Cerro Rico, où l'on découvrit d'incroyables quantités d'argent, source de revenu principal de la couronne d'Espagne. D'innombrables caravanes faisaient alors l'aller retour vers Lima au Pérou, d'où les barres de précieux minerai embarquaient vers l'Europe, et Salta en Argentine, où l'on trouvait les meilleurs animaux de bât, du bois de première qualité, et les aliments qui ne pouvaient être trouvés en Bolivie.

Aujourd'hui, les filons se sont tari, mais les quelques veines restantes suffisent à attiser l'espoir de milliers de mineurs qui continuent à travailler dans des conditions à peine plus humaines qu'à l'époque des esclaves (ils meurent généralement au bout de 15 ans de travail, mais ont le droit de prendre leur retraite avant, si leurs capacités pulmonaires ont été diminuées de moitié, auquel cas ils ont le droit à une rente mensuelle de 15 dollars...). Étrangement, les mineurs semblent tirer une grande fierté de ce travail exténuant, et c'est volontiers qu'ils laissent les touristes leur rendre visite et les prendre en photo.

Contrairement à Sucre, ville étudiante calme, riche, propre, plus blanche que blanche, coeur de la nation, patati patata, Potosi interpelle par son éclectisme, sa foule innombrable, ses couleurs gaies, et son joyeux désordre. C'est l'une des rares villes visitées où les rues ne sont pas tracées en damier insipide. Elles sont le théâtre d'une lutte permanente que se livrent piétons et véhicules pour la priorité, et les klaxons se font entendre en permanence. Bon en réalité, les chauffeurs n'ont pas besoin de prétextes pour klaxonner, ils doivent le faire au moins une fois toutes les 30 secondes : quand ils passent un carrefour (il n'y a pas la règle de priorité à droite, juste celle du premier qui klaxonne qui passe en premier), ou bien les taxis dés qu'ils voient quelqu'un à pied, qui pourrait être un éventuel client (quasiment pour chaque piéton donc, ce sont eux les champions du klaxon, et c'est donc eux qui me cassent le plus les oreilles!).
Je resterai six jours à Potosi (enfin peut être plus, j'y suis toujours!), puis ensuite direction Uyuni, car les vacances sont finies, et mon pote Sylvio m'attend avec impatience. On a un salar et un désert à traverser, nom de nom!

Voilà c'est la fin de cette édition, vous pouvez retourner a une activité normale.

A bientôt.